Lors de la convention 2023 de l’APM à Nantes, j’ai eu l’occasion de participer dans un débat classique, avec le format de débat de contre-interrogatoire, autrement appelé un débat d’équipe ou débat politique. En tout cas, le concept était de débattre les deux côtés opposés d’un postulat de manière civique et chronométrée, avec un animateur pour assurer le bon suivi des consignes. Face à moi, j’avais mon opposant vigoureux, Vincent Tessier, un autre expert de l’APM. J’ai eu la tâche d’argumenter en faveur du postulat que l’homme augmenté est un fléau. En voici les arguments que j’ai proposés (en deux temps).
En préambule…
En amont de débattre si l’homme augmenté est un fléau ou une bénédiction, il nous incombe de comprendre nos partis pris. Par exemple, avez-vous un point de vue positif ou négatif sur l’intelligence artificielle ? Avez-vous peur de ou êtes-vous excité par les prospects de l’IA ? En deux, voyez-vous l’homme comme étant une machine ou pas ? En substance, une machine est un ensemble de composants interconnectés, agencés pour transmettre ou modifier la force afin d’effectuer un travail utile. A cet égard, on pourrait ainsi considérer l’Homme comme une machine. Ou bien on rejette cette notion. Si vous avez un point de vue positif sur l’IA et vous considérez l’Homme comme étant une machine, dans ce cas, vous aurez du mal à être d’accord avec le postulat du débat. En revanche, si vous tenez la position opposée, c’est particulièrement à vous que j’adresse mes commentaires. Et il y a cinq thématiques qui nous concernent.
1/ La santé
Quand on considère l’homme (bien entendu je parle des hommes et des femmes) augmenté, on va très vite parler des avantages pour la santé. Certes, il y a eu des inventions fantastiques, tel que le pacemaker (le stimulateur cardiaque) ou la pompe d’insuline pour les diabètes, ou encore les prothèses pour les membres manquants. Mais, comme nous pouvons le constater, nous ne sommes pas contentés d’ ‘augmenter’ seulement les problèmes critiques ; nous sommes désormais à la recherche de solutions pour ‘guérir’ la mort, comme si c’était une maladie, et de nous rendre immortel. Sans oublier de parler des solutions pour mesurer et vérifier chaque pas ou effort qu’on fait, nous sommes devenus une société à la quête de la jouvence éternelle et/ou d’un corps plus beau. Avec l’instrumentalisation de notre corps, nous sommes-nous en fait confiants que les incidences à longue durée ou les effets secondaires ne vont pas nuire à notre civilisation ?
2/ La santé mentale
Alors que lié au point précédent, je suis soucieux de l’impact sur notre santé mentale. Avec ces artifices pour améliorer notre vie, comme si on pouvait ou devait éliminer toute malheur, quelle vie aurait-on ? Ne devrait-on pas réfléchir à l’impact potentiel d’utiliser des machines dans nos corps pour nous dédouaner de nos problèmes ? Quid du goût de l’effort ? Comment créer de la résilience sans expérimenter des difficultés ? Par ailleurs, tout comme la chirurgie esthétique ou le tatouage, nous voyons combien vite ces ‘ajustements’ de notre corps peuvent devenir addictifs.
3/ Les risques sécuritaires et notre liberté sont en jeu
Ensuite vient la question sensible de qui est derrière ces instruments ? Combien est-ce que ces machines au sein de notre corps seront autonomes et sécuritaires ? Quel est le modèle de business pour les fabricants et quel serait le rôle éventuel de l’État. Par exemple, est-ce qu’il y aura moyen de contrôler l’instrument depuis l’extérieur, telle une voiture Tesla qui peut être mis-à-jour à distance sans fil. Quel sera le risque qu’un pirate informatique ou un élément maléfique s’infiltre dedans ? Et comment tout ça sera-t-il régulé ? On voit déjà à quel point les régulateurs et les gouvernements à l’ouest ont du mal à rester à jour des actualités technologiques.
4/ La confidentialité
Mis à part l’exemple de l’Estonie (à l’ouest) et en Chine (à l’est), on sait combien les données privées sur notre santé restent un sujet sensible par les populations à l’ouest. Comment assurer que nous resterons propriétaire de notre santé ? Si nous avons un moyen de mesurer notre battement de cœur, le niveau de stress, ou encore notre taux d’hormones, voudrait-on accepter que ces données soient transmises à notre médecin, notre employeur, notre assureur ou encore notre gouvernement ? Je prends l’exemple des systèmes d’assurance qui pénalisent les personnes ayant des conditions pré-existantes. Comment traiter les primes compte tenu de toutes ces données ? Autant dire qu’il serait judicieux d’évaluer le plan éthique avant de se lancer et qu’il devienne trop tard pour marche arrière.
5/ L’éthique
Quand on déploie des outils et mécanismes qui nous permettent d’être plus qu’on est, d’être plus fort, plus beau, plus jeune, la volonté sous-jacente est de défier la nature. Joël de Rosnay a décrié le transhumanisme — une philosophie ou un mouvement qui cherche à renforcer et pérenniser l’homme — comme étant un symptôme d’égoïsme, de narcissisme et encore d’élitisme. Jusqu’où va-t-on ? Qui et comment va-t-on réguler ces augmentations ? Jusqu’où veut-on augmenter nos capacités militaires avec des hommes super-humains ? A quel âge peut-on commencer à s’augmenter (cf le débat sur l’identification du genre) ? Plein de questions éthiques qui mériteraient d’être débattues.
En conclusion
La transformation de l’être humain en homme augmenté présente des soucis et des enjeux que nous sommes loin de maîtriser. Quand on voit les résultats compliqués des personnes ayant passé par un changement de genre, on devrait se poser la question : est-ce que c’est parce qu’on peut qu’on doive le faire ? Par ailleurs, quand on voit les déboires du sud-africain, Oscar Pistorius, et sa prouesse athlétique ayant les deux jambes en utilisant des prothèses, qui devient meurtrier, on saisit combien c’est difficile de tout comprendre dans la tête de l’être humain. Il ne peut négliger l’impact sur notre psyché d’un corps augmenté. La dénaturalisation de notre corps par le biais de puces magiques nous éloigne de notre réalité. Bien entendu il y a des cas d’usage qui sont formidables, mais devrait-on permettre aux personnes d’éditer à la perfection nos gènes ? Quid de la vie naturelle, la douleur, les risques, l’imperfection et la mort ? Ne font-ils pas partis de la condition humaine ? Que ce soit contre le flicage, la surveillance et le contrôle de notre corps ou une reprise de notre humanité, soyons hyper vigilant par rapport au souhait de nous augmenter tous. Comme le dit de Rosnay : prônons d’abord l’hyper-humanisme.